L’aventure est-elle une prise de risque ?

Mathieu Oriot

Dans cet article je laisse la parole à Mathieu Oriot (ayant déjà écrit l’article « L’Aventure est devant notre porte »). A travers les “Je” c’est donc Mathieu qui s’exprime, mais j’ai exactement la même vision des choses !

L’autre jour, j’ai dépassé un peu mes limites, (mais pas de manière sécuritaire) et mon ami m’a dit « c’est l’aventure ». Cette phrase associée au contexte a tourné un certain temps dans ma tête.

Vu que j’ai effectué de nombreuses activités dans ma vie professionnelle et personnelle et que l’apothéose a certainement été de participer à des expéditions sur le voilier Tara, certains pensent que je suis un véritable aventurier, un pur et dur !

J’aimerais éclaircir les notions d’aventure et de risque. L’aventure est-elle une prise de risque ?

Pour ma part, durant mes aventures, qu’elles soient de simples trips à la journée ou des missions professionnelles avec du gros matériel, je fonctionne toujours de la même manière : je diminue le risque au maximum.

Parce que c’est dommage de se mettre en danger pour un travail, une passion, un défi.

Je prévois, j’anticipe et j’ajuste au fur et à mesure. Il restera toujours la part de l’aléa qui nous obligera à nous adapter en temps réel.

Finalement l’aventure c’est peut-être ça, savoir adapter son comportement et ajuster son action en fonction des ressources que l’on a à sa disposition pour pouvoir mener son projet du mieux possible.

Je fonctionne donc toujours de la même manière pour mes aventures.

Tout d’abord j’applique une théorie très personnelle : « les actions élémentaires ». Je l’ai développée durant la construction de ma maison qui m’a au départ semblé une montagne !

En fait, je décompose une action compliquée en autant d’actions simples et élémentaires qu’il le faut. Une forme d’unité de base.

Si une action, qui peut paraître insurmontable, est décomposée en actions simples, l’esprit est beaucoup plus calme et l’on se sent plus serein pour mener son programme. On fonctionne par objectifs simples que le cerveau peut assimiler.

Par exemple :

  • Découper une longue itinérance en étapes journalières.
  • Préparer une route maritime avec des repères visuels réguliers (quand on est à la côte).
  • Décomposer une construction en plusieurs éléments simples : charpente, murs, isolation, électricité

Puis redécouper en un système encore plus simple jusqu’à ce que tout nous paraisse vraiment basique.

Ensuite, viennent 3 facteurs essentiels :

1 – la connaissance du terrain

Il n’y a pas de secret, on passe le temps qu’il faut à étudier le terrain par tous les moyens qui existent : cartes, photos, retours d’expériences des autres etc.

L’aventure est là : une vraie étude très professionnelle du terrain, on met les bouchées doubles si c’est l’inconnu. Sur Tara, tous les marins sont aussi de grands curieux et gros lecteurs. On se pose des questions et on essaye d’apporter des réponses.

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A vélo, je prépare ma route, les km, le dénivelé, les bourgs où je passe, la météo etc.

En mer, je vais faire attention à la météo, aux courants, aux roches, au balisage, et j’ajuste en fonction des opérations à mener.

Je pars toujours avec une version papier même si l’informatique rend de grands services. A ce titre, je dirais que les logiciels de navigation (en mer ou à terre) sont de bons alliés.

Mais rien ne remplacera jamais une bonne étude de carte jusqu’à connaître par cœur ce que l’on appelle le « voyage plan » ou « Plan de route » qui est, somme toutes, un résumé du parcours avec des points clés.

Il faut se préparer, et ne jamais se fier à la technologie à 100%, car lorsque cela tombe en panne, c’est la catastrophe. Donc bien connaître le terrain, se l’approprier le plus possible.

  • Météo
  • Cartes
  • Images
  • Retours d’expériences

2 – La connaissance et le choix de son matériel

Eh oui, le matériel c’est indispensable et ça peut vous sauver la vie. Vous devez toujours avoir à l’esprit ce que vous avez dans le fond de votre sac, pour être créatif quand vous êtes dans la me… ! Mais normalement on ne doit même pas en arriver là.

Qu’est ce que j’emporte et quelle qualité et quantité ?

Personnellement, j’essaye au maximum d’avoir du bon matériel. Un couteau qui casse le jour où c’est un peu rock’n roll c’est embêtant et ça peut être dangereux. Choisir de la qualité est un gage de sécurité.

On est heureux de pouvoir demander 150% à son équipement de temps en temps. Le choix du matériel est personnel et dépend aussi de l’individu, de son physique et de ses besoins.

Reviennent souvent les mêmes choses néanmoins :

  • pouvoir communiquer
  • pouvoir être au chaud
  • pouvoir être autonome un maximum

Il ne tient ensuite qu’à vous de préparer le matériel avec plus ou moins de redondance et de sécurité.

Pour un tour de paddle, par exemple, où je vais m’éloigner un peu de la côte (disons à 4 ou 5 milles, je sais que c’est interdit !), je prends une combinaison intégrale, avec un gilet de sauvetage en plus. S’il fait beau, je les laisse sur le pont, mais au cas où, le matériel est disponible immédiatement.

Un bon leash, et de quoi en fabriquer un autre s’il casse, idem pour la pagaie. Une pelicase (valise étanche indestructible) avec téléphone portable et VHF, les cartes, de quoi manger et boire, un miroir, une couverture de survie, des lunettes de soleil, une casquette, des palmes etc.

L’idée globale est d’essayer de penser à tout, surtout au pire et de trouver une parade. Alors quand à chaque question on a une réponse rapide et simple, on est prêt côté matos.

L’inconvénient c’est que vous avez un joli budget pour le matériel dans votre vie, l’avantage c’est que vous sortez bien plus facilement du cadre (légal, mental…) car vous agissez en conscience.

Mes activités sont finalement assez souvent illégales au regard de la réglementation, mais elles sont aussi plus sécuritaires.

3 – La connaissance de soi

Alors là je ne vous apprends rien, mais il ne faut jamais se surestimer. D’ailleurs quand on vise trop fort on ne prend pas de plaisir. Un ami m’expliquait que le « flow », cette sensation de plénitude dans l’effort, est mentale et non physique et que pour l’atteindre il faut se fixer des objectifs réalisables.

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Si vous courez 3km par semaine, il est peut être un peu tôt pour envisager le marathon. Se connaître, c’est connaître ses besoins physiologiques, mais aussi son attitude mentale face à des difficultés.

Les besoins physiologiques, cela vient avec l’expérience. Par exemple, j’aime manger de la compote de pommes pendant l’effort long, je ne l’explique pas mais cela me convient bien, une par heure environ. Je bois de l’eau avec du sirop d’agave, du citron et du sel de Guérande, ça passe bien.

Bref, on a tous nos trucs. On est tous différents. L’important est de bien écouter son corps.

Se connaître au niveau physiologique, ça vient avec les années. Etre fait pour les efforts explosifs ou l’endurance, à la journée ou à la semaine, etc. Savoir se décrire, c’est peut-être la base de l’aventure.

Et puis il y a aussi le mental. Comment je réagis au froid, au chaud, à la difficulté, à la durée d’exposition ou la répétition. C’est passionnant car le mental est complexe, mais finalement un peu la clé de tout ! Tant que le mental tient, le reste suis.

Les ultra traileurs vous diront que les 50 premiers km se font avec le physique, le reste avec la tête…et que finalement si vous passez 70km, vous pouvez pousser à 150 !

Il faut bien connaître son mental, voir comment il réagit à une stimulation. Le top, c’est que l’on peut entraîner son corps, mais aussi son mental. On peut profiter de chaque situation pour s’enrichir et se renforcer au niveau mental.

Alors l’aventure est-elle une prise de risque ? Pas tant que ça, c’est avant tout une préparation minutieuse d’une action que l’on va mener un peu plus tard.

On laisse finalement peu de place pour le risque. Il y a bien des imprévus, certes, mais l’on s’est tellement entraîné à tout imaginer qu’en fait, on est prêt. L’aventure, c’est se positionner hors de sa zone de confort mais de manière sécuritaire en anticipant un maximum de paramètres.

Si on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’un grimpeur qui réussit un solo sur une paroi l’a travaillé pendant des mois ou des années, qu’un cycliste qui part pour un tour du monde connaît son vélo par cœur…

Gérard d’Aboville pour réussir la première traversée de l’Atlantique à la rame a conçu lui-même son canot, il en connaissait les moindres détails. Les frères Berque qui ont traversé aussi l’Atlantique sur un bateau de 4m sans aucun instrument de navigation ont aussi conçu leur équipement.

Vu de loin, ces aventuriers paraissent extrêmes et semblent prendre des risques insensés. Quand on regarde avec plus de détails, la préparation a été minutieuse, les personnes maîtrisent un maximum de paramètres : environnement, matériel et personnel.

Finalement, l’aventurier va énormément préparer son parcours et anticiper un maximum ce qui pourra lui arriver. En réalisant cet effort, il prépare son corps et son mental à des épreuves où l’engagement est important.

Le risque est toujours là dès que l’on commence à sortir des sentiers battus, mais il est contenu par différents paramètres que nous avons pu voir comme la connaissance du terrain, de son matériel et de ses capacités.

Alors l’aventure n’est pas une prise de risque mais plutôt une gestion fine de celui ci. Qu’en pensez vous ?

Mathieu Oriot.

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6 Comments

  1. entièrement d accord
    déjà la vie est risquée en elle même 🙂 et elle finit toujours mal ( on espère le plus tard possible )

    ce qui me gène un peu dans le monde actuel c’est la notion des surenchères il faut faire toujours plus , toujours plus loin ou extrême , prendre de plus en plus de risques pour se faire remarquer et faire le « buzz »
    un long voyage en vélo c’est presque devenu banal .

    du coup certains en perdent le bon sens

    dans ton texte je rajouterai une rubrique la connaissance de l autre si on part en couple ou avec des ami(e)s

    • Bonjour Marie,
      Effectivement il vaut mieux partir à l’aventure pour soit et non pas pour les autres…
      Un long voyage à vélo est presque devenu banal, car ce genre de voyage s’est beaucoup démocratisé depuis quelques années.

      Il faut quand même rappeler que nos ancêtres prenaient beaucoup plus de risques que nos grand aventuriers des temps modernes.
      Je pense par exemple aux expéditions polaires, sans aucune assistance possible, sans moyen de communication, sans GPS, sans matériel high-tech.
      Même si certaines expéditions actuelles sont très engagées, je pense que le risque est de moins en moins grand. Je ne juge pas, c’est juste un constat ;).

      Effectivement la connaissance de ses partenaires d’aventure est très importante ! C’est même la clé de la réussite 😉

      Brieg

      PS : Cet article à été écrit par Mathieu Oriot.

  2. Philosophie de la vie (au sens large du terme).
    RISQUES: depuis notre conception…
    Impondérables: depuis la nuit des temps… UNE VIE, VIVONS LA!
    Zones endémiques ou de conflits…changeons de trottoir.
    SENS: externes: vue, ouïe, odorat, toucher, goût.
    interne: proprioception, thermoception….sens de l’équilibre et de l’orientation…s’en servir +++ pour faire corps avec son environnement (qualité primitive).
    QUALITES: la raison…essayons de ne pas la perdre: bon matériel, bons compagnons,bonnes décisions.
    Humilité…état d’être.
    Les 2 ensembles…être capable de NON.
    NOTION essentielle: vivre en étant soi-même, le mieux possible avec RESPECT.
    L’AVENTURE: un besoin vital pour l’homme à la recherche du soleil.
    (Celui qui n’avance pas est un homme mort…)

  3. Bjr, je suis également et complétement d’accord. Et comme Marie, qd on décide de partir en couple ou avec des amis, il faut bien se connaître.
    Avec mon compagnon, nous avons l’habitude de partir tous les 2 en trek hiver comme été sur qques jours en dormant en cabane de berger ou en tente.
    Nos amis disent que nous partons à l’aventure et qu’on prend des risques. Et surtout tous très étonnés qu’on puisse rester que ts les 2, sans voir personne pdt plrs jours. Or ce n’est pas du tout ce qu’on ressent. L’aventure oui, des risques, pas tant que ça. Ils sont calculés. L’expérience aide avec le temps, la connaissance de l’autre aussi, comme le dit Mathieu.
    De même quand on a décidé de partir pr un an en vendant tout et quittant notre travail. Pour nous c’était certes une belle aventure, quant aux risques, ils n’étaient pas énormes, avec internet, gps et surtout un passeport européen francais, véritable sésame. Ce qui n’était pas le cas pour de backpackers non européens.
    On s’est trouvé plutôt chanceux.
    Là encore ce sont les autres qui trouvent qu’on a pris des risques et plus inquiets que nous car en plus nous n’avions vraiment de plan, juste des destinations en tête (notre beau frère nous a demandé si nous avions un « business plan » avant, pendant et après…kezako ??)
    Voilà pour notre retour d’expérience, qui est très loin à nos yeux des aventures et risques pris par Brieg ou Mathieu.
    Et pourtant cela a été une belle aventure !😜

    • Hé oui c’est juste une question de point de vue, d’état d’esprit, d’expérience et de préparation.
      Et cela quelques soit l’engagement, peu importe 😉
      Brieg.

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